14.

Secret de famille

Dans l’après-midi, Ambre alla trouver Torshan pour lui indiquer que son choix était fait. Elle souhaitait travailler à la bibliothèque, mettre à profit son esprit pour le développement de la communauté.

Pendant ce temps, Matt et Tobias sillonnèrent le Nid à la recherche d’un plan. Il fut décrété que Matt rejoindrait le groupe des guerriers, pour étudier les défenses et la sécurité des Kloropanphylles, tandis que Tobias ne parvenait pas à se décider pour un poste.

— Apprends à naviguer sur un de ces navires, proposa Matt. On ne sait jamais.

— Tu crois que j’en suis capable ?

— Pourquoi pas ?

— C’est juste que des fois j’ai l’impression de…

— Eh bien quoi ?

— Tu sais, à côté de vous deux, je passe un peu pour l’idiot du groupe.

Matt attrapa son ami par les épaules.

— Ne dis pas ça, Toby, Ambre est fortiche quand il s’agit de raisonner, c’est vrai, moi je suis costaud maintenant, mais toi tu es notre ciment. Un peu de tout à la fois. Il faut simplement que tu apprennes à concilier analyse et action, et crois-moi, tu seras le plus doué de nous trois !

Tobias lâcha un sourire gêné.

— C’est gentil…

— Allez, viens, nous n’avons que cinq jours pour savoir qui sont vraiment ces gens et comment les convaincre de nous aider.

Matt prétexta certaines aptitudes au combat et Tobias se proclama doué en orientation et curieux de découvrir les mécanismes des voiliers. Ils se firent présenter à leurs nouveaux camarades et passèrent le reste de l’après-midi à observer et écouter pour être opérationnels dès le lendemain.

Le soir, ils se retrouvèrent avec Ambre pour le dîner, mais à peine avaient-ils commencé à bavarder que Torshan les rejoignait dans l’habitation qu’ils occupaient.

— Cette nuit vous êtes conviés à la cérémonie de l’Arbre, annonça-t-il. Vous verrez, il faut le vivre pour le croire. En attendant, mangeons !

La nuit tomba rapidement sur la mer Sèche et des dizaines de lumières argentées brillèrent partout dans les chênes du Nid.

Une fois le repas achevé, Torshan offrit à chacun un manteau tressé de feuilles longues, en forme de cape d’un brun foncé, et les emmena à l’extérieur, sur les quais.

Tous les Kloropanphylles descendaient des arbres pour prendre la même direction : la forêt de bambou.

Une brise fraîche s’était levée avec le coucher du soleil et Ambre s’emmitoufla dans sa cape après en avoir relevé la capuche. Ce cocon la rassurait.

Les bambous s’entrechoquaient dans le vent, produisant une mélopée rythmée de sons creux qui accompagnait le bruissement de leurs feuilles.

Des lampes à bougie remplies de substance molle éclairaient le chemin d’écorce jusqu’à la clairière où le bois avait été creusé pour ouvrir un amphithéâtre. Tout en bas, au centre, une boule de lumière de trois mètres de diamètre tournoyait lentement au-dessus du sol, à l’instar d’une planète.

— Oh mon Dieu ! s’exclama Ambre. Qu’est-ce que c’est ?

— L’âme de l’Arbre de vie, expliqua Torshan.

Tous les Kloropanphylles prirent place dans l’amphithéâtre qui fut rapidement plein, et la cérémonie débuta.

Un garçon aux cheveux longs s’approcha de la boule de lumière et tendit la main vers elle.

Torshan se pencha vers l’Alliance des Trois et murmura :

— Chaque fois, c’est quelqu’un de différent qui a le privilège de renouer le contact. Il va réveiller l’âme afin qu’elle s’adresse à nous. Regardez !

À mesure que la main du garçon s’approchait de la boule, celle-ci accélérait sa vitesse de rotation et un petit sifflement cristallin en jaillit. Soudain, les doigts du jeune garçon effleurèrent la lumière et un vent surgi de la forêt de bambou vint balayer les bancs de l’amphithéâtre, soulevant les cheveux, plaquant les vêtements aux corps et forçant les spectateurs à se tenir les uns aux autres pour ne pas ployer.

Le ciel se mit à gronder, puis rapidement des flashes illuminèrent les nuages noirs. Le tonnerre résonna depuis les confins de la nuit.

Et comme si la tempête s’était déplacée en un battement de cils, une douzaine d’éclairs s’abattirent autour de la forêt de bambou.

Ambre avait sursauté et Tobias se tenait contre elle.

Brusquement, la boule de lumière s’immobilisa et des rubans de vapeurs s’enroulèrent autour du bras tendu du garçon dont la main disparaissait dans la lumière vive. Des arabesques de fumée glissèrent sous ses manches, surgirent par le col pour lui palper le visage, et bientôt l’enfant ne fut plus qu’une forme vaporeuse où palpitait une lueur blanche.

Ambre perçut des picotements sur ses avant-bras et un poids contre son flanc gauche. Tobias était complètement recroquevillé sur elle.

Une vague de chaleur émana alors de la boule avec un sifflement aigu et lorsqu’elle toucha l’Alliance des Trois, Ambre se sentit totalement électrisée. Elle distinguait avec peine ce qui ressemblait à un clignotement bleu et rouge au centre de la boule, puis une explosion verte jaillit à l’intérieur du mur de brume. L’odeur de la forêt après une bonne pluie lui parvint aux narines.

Parfums d’humus, de plantes aromatiques, menthe et basilic devina Ambre, ainsi qu’une fragrance plus puissante : la sève chaude.

La jeune fille eut tout à coup l’impression que la boule de lumière lui parlait, lui racontait une histoire faite de sens, de couleurs, d’odeurs, et de frémissements. Hélas, le contact fut si bref qu’Ambre n’eut pas le temps d’étudier cette multitude d’émotions.

Un sentiment de bien-être lui tournait doucement la tête.

Le nuage qui entourait le garçon fut aspiré par la boule et celle-ci se remit à tourner tandis que le ciel grondait au loin, et que l’orage s’éloignait.

Tout le monde clignait des paupières, le regard perdu. Certains étaient extatiques, d’autres plus réservés, mais tous avaient ressenti la puissance euphorisante de la boule de lumière.

— Oh ! ça file les jetons ! lança Tobias. Vous avez vu comme ça nous rentre à l’intérieur, j’ai cru qu’elle pénétrait dans ma cervelle ! C’était à la fois flippant et fantastique !

— C’est l’âme de l’Arbre de vie, annonça fièrement Torshan. Celui qui a le privilège de pouvoir le toucher voit la vie, le passé, le futur, intimement mélangés. Nous autres spectateurs ne ressentons que l’onde de choc de ce voyage.

— Ce doit être enivrant comme expérience, avança Matt.

— C’est l’émotion la plus incroyable que je connaisse, avoua Torshan.

Ambre se pencha vers le groupe de garçons :

— Il m’a semblé que cette… « âme », comme vous l’appelez, était vivante, et qu’elle me sondait.

— Moi aussi ! répliqua aussitôt Tobias.

— Elle est vivante ! confirma Torshan avec enthousiasme. C’est l’âme de notre arbre. Lorsque nous sommes arrivés ici, et que nous l’avons découverte, nous avons de suite su qu’elle nous attendait, que ce serait notre Nid.

— Comment avez-vous atterri ici ? demanda Ambre. D’où viennent autant d’adolescents et d’enfants ?

Torshan parut gêné, il haussa les épaules :

— Nous étions tous liés, et avant la Tempête, nous étions les faibles de ce monde. La Tempête a tout changé, elle a inversé la donne, et désormais nous sommes le peuple de Gaïa, fier et puissant !

— Je ne comprends pas, vous étiez tous ensemble avant que notre monde bascule ?

Torshan chassa l’air devant lui d’un geste de la main :

— C’est de l’histoire ancienne, le présent est plus important.

Ambre répliqua aussitôt :

— Comprendre qui nous sommes et d’où nous venons nous permet d’appréhender plus facilement le chemin à venir !

— Alors considère que notre histoire est un secret de famille, et que nous ne souhaitons pas l’étaler !

Sur quoi Torshan tourna les talons et s’en alla vers la foule qui quittait l’amphithéâtre dans le brouhaha des commentaires.

 

L’Alliance des Trois attendit que l’arène soit déserte pour se lever.

— J’aimerais beaucoup tenter l’expérience, dit Ambre en fixant la boule qui tournait lentement sur elle-même.

— Pas maintenant, lança Matt en observant le haut de l’amphithéâtre. Ils nous surveillent.

Faellis, la capitaine aux grosses joues, veillait sur eux, à bonne distance, mais accompagnée par quatre soldats en armure de chitine.

— Peut-être que si tu en fais la demande, ils accepteront que ce soit toi la prochaine, fit Tobias, confiant.

— Il ne faut pas rêver, nous sommes des étrangers, rappela Matt.

Ambre, sur le ton de la confidence, demanda :

— Vous avez remarqué comme Torshan est mal à l’aise lorsqu’on évoque leur passé ? J’ai peine à croire qu’ils se connaissaient tous avant la Tempête.

— La porte dans la bibliothèque, affirma Matt. Il avait la même expression troublée lorsqu’on l’a interrogé à ce sujet. S’ils cachent un secret de famille, c’est derrière cette porte qu’il se trouve. Rentrons nous coucher, attendons que tout le monde dorme et nous pourrons y aller !

— Trop dangereux ! protesta Ambre. Nous ne savons rien de ce lieu, de sa sécurité. Laissez-moi au moins une ou deux journées pour travailler dans la bibliothèque et observer, glaner des infos. Ensuite nous passerons à l’action.

À contrecœur, Matt approuva.

— Venez, dit Ambre en jetant un rapide coup d’œil à Faellis et à sa garde rapprochée, n’éveillons pas les soupçons, il est temps de rentrer.

Le trio remonta vers le chemin qui traversait la forêt de bambou pendant que Faellis et les siens les suivaient à bonne distance, tout en ramassant une à une les lampes à substance molle.

Lorsqu’ils furent de retour au Nid, Faellis se tourna vers la forêt devenue obscure. Elle porta un sifflet à ses lèvres et souffla dedans.

Un étrange son creux résonna et aussitôt toute la forêt de bambou se mit à frémir. Le feuillage s’agita à toute vitesse.

Pourtant, Ambre en était certaine, il n’y avait pas de vent.

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